Posté le 04/01/2014 � 21:55
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ConcoursJ’ai longtemps voulu écrire un message dans ce forum suite à mon échec en médecine, il y a quelques années mais j’ai préféré me concentrer sur mon parcours et laisser mûrir cette expérience en attendant d’avoir un peu plus de matière à apporter pour ce témoignage. Il me paraissait essentiel de prendre le temps d’expliquer à quel point le système d’éducation médicale français peut être injuste et aliénant pour une grande majorité d’étudiants et amené ceux qui réussissent ses concours successifs à mépriser ceux qui les ont ratés. Et pourtant, les alternatives existent!
Suite à un refus de triplement malgré une série de blessures sportives sérieuses au 2nd semestre en doublant, j’ai perdu mon classement au Numerus Clausus malgré presque 300 places d’avance au 1er semestre acquise sur le dernier pris en médecine pour une promotion de 2500. La première réponse d’un grand professeur de médecine réputé de mon ancienne faculté parisienne: « vous savez jeune homme, des certificats médicaux pour triplement, on en reçoit des piles et à moins que cela ne soit vraiment une maladie sérieuse, ne comptez pas sur une réponse positive. D’ailleurs sont ils vrais au moins vos certificats? » Un véritable choc! À noter cette dernière phrase qui, selon moi, en dit long sur ce système sélectif aveugle et brutal.
Pour déposer ma demande de triplement, il était nécessaire de refuser préalablement toutes autres alternatives dans l’amphi de garnison (dentaire, kinésithérapie…). La kiné était une option un temps envisagée mais le choix était pris et avec mon classement au 1er semestre, peu de chances qu’ils me refusent le droit de retenter ce concours. J’avais toujours voulu être médecin, hors de question de tourner le dos à mon rêve d’enfant ; s’il fallait en passer par une année supplémentaire de travail abrutissant pour ce concours stupide, très bien!
Malheureusement, leur réponse ne se fit pas attendre: « exclu des études de médecine en France ».
Une sueur froide. Des nuits d’insomnie. Quelles sont les alternatives? Aucune. Impossible de communiquer avec mon ancienne faculté pour faire appel. « Vous êtes e-x-c-l-u des études médicales » martèle le secrétariat au téléphone : « ce n’est pas difficile à comprendre, non? ».
Devant ce refus, je me suis alors tourné vers d’autres pays; à l’époque, la Belgique avait déjà fermé ses portes aux étudiants français ayant échoué deux fois à leur PCEM1. Les informations disponibles sur internet étaient relativement claires ; une fois raté en France, il est préférable d’oublier toute l’Europe à moins de tenter de longs processus d’inscription dans 1 ou 2 ans sans que cela ne soit certain d’aboutir. Il y avait bien quelques informations à propos de la Roumanie mais ses programmes français souffraient déjà, surement à tort, d’une mauvaise réputation.
Avec un niveau d’anglais de bachelier français, j’ai vite mis une croix sur les Etats Unis dont il est à noté que le prix des études peut monter à des dizaines de milliers d’euros pour une année, même pour les universités les moins en vue. Étant né et ayant grandit en France mais d’origine métisse, j’ai eu un désir d’ailleurs très tôt et toujours voulu vivre à l’étranger à un moment ou un autre de ma vie, et notamment dans un pays scandinave. Il y avait bien une option dans le nord de la Suède mais toujours la barrière de la langue en plus de longues listes d’attentes sans certitude d’être accepté une fois la langue acquise.
La Croatie venait d’ouvrir un programme en anglais principalement destiné aux jeunes issus de la diaspora croate voulant renouer avec leurs racines. À l’époque, ce pays n’était pas encore la « perle adriatique » connue désormais de tous les touristes, mais bien plutôt pour la plupart, un pays vaguement situé en Europe de l’est. En Croatie, le coût d’une année d’étude était de 7000 euros alors même que le coût de la vie y est relativement abordable entre autres avantages. A ma connaissance, seul un franco-canadien ayant raté deux PCEM1 s’était exilé là bas et écrivait à l’occasion quelques messages sur ce même forum afin d’encourager et d’assister d’autres qui comme lui auraient l’audace de tout plaquer pour suivre leur vocation.
Son courage et sa bienveillance furent vite accueillis par une salve de clichés et de critiques sans fondements quand ce n’était pas des commentaires chauvins ou xénophobes d’une rare bêtise.
Voyez par vous-même ce florilège, trouvé en quelques secondes avec un moteur de recherche:
Shaka : « Sinon on peut être cardiologue en 3 ans en Ukraine... par contre c'est risqué en rentrant en France... »
La belette : « si c'est si bien que ça les demandes pour aller étudier a Zaghreb ne devraient pas manquer, alors pourquoi il ressort une sensation de tentative de recrutement si intense de tes messages? Que tu veuilles faire connaitre aux p1 futur non reçu cette opportunité, soit, mais un message est suffisant... »
MDT_49 : « Pour quelqu'un qui veut donner de l'espoir tu sembles toi-meme assez desesperer pour poster autant de messages (27 a ce jour) finalement...On a l'impression que t'es paye par la fac de Zagreb pour rameuter du monde...Assez marrant! »
Jorgos : « Au fait, ils avait raté l'examen, en France? Ils étaient trop nuls en médecine? C'est pas grave, la Croatie a des promotions qui enflent, ils nous enverront les anglophones trop nuls en médecine pour aller lécher les bottes des angles-aux-saxons, ils s'entraîneront sur la viande française dans les quelques hôpitaux "performants" que nous leur auront laissés comme terrain de jeu. Bonjour l'Europe! »
Certains d’après leurs profils sont internes en médecine en France à ce jour.
En bonus : Michel Legmann,
président du Conseil National de l’Ordre des Médecins pense que les formations a l’étranger constituent un contournement du Numerus Clausus inacceptable. Je cite: « Est-il normal que nos enfants se cassent les dents pour un demi-point en première année en travaillant comme des dingues alors que d’autres peuvent s’exiler en Belgique ou en Roumanie? ». Le Ministère de la Santé a même évoqué la piste d’une possibilité de traçabilité des étudiants ayant ratés leurs études de médecine en France. Bien noter : « nos enfants » / « alors que d’autres. »
Bref, au cœur de l’été, Il me restait 3 jours pour envoyer ma demande d’inscription, plier bagage et acheter un ticket de bus pour un voyage de 23h en terre inconnue pour 6 années au moins. Je passerai le détail de mon installation dans ce pays magnifique qui fut pour moi formidable dès les premiers jours. Mon amertume oubliée, je me suis vite rendu compte que cette décision prise en quelques jours par un élève déboussolé était en fait la meilleure chose qui me soit arrivée.
Zagreb est une capitale d’une beauté brute qui ne demande qu’à être découverte. Elle recèle de petits endroits secrets et possède une scène alternative dynamique aux accents balkaniques malgré une identité profondément européenne. La Croatie, influencée successivement par l’empire romain, turque, austro-hongrois et même français sous l’ère napoléonienne, s’impose comme un pays d’une richesse infinie que ce soit pour son histoire, sa diversité architecturale ou sa gastronomie; et que dire de sa situation, au bord de la mer adriatique saphir avec ses centaines d’îles.
Un programme médical anglais avait débuté en automne 2002 s’appuyant exactement sur le programme croate avec les mêmes professeurs et dans les mêmes amphis, labos et hôpitaux. Les avantages étaient nombreux : de petites classes où les professeurs nous appellent par nos prénoms, une ambiance saine sans compétition nuisible, une formation théorique solide et l’apprentissage de la médecine en anglais qui ouvre des portes phénoménales en recherche scientifiques ou cliniques internationales. Le niveau d’éducation clinique à l’hôpital était plus difficile à évaluer car il existait un système de petits groupes de 3 ou 4 étudiants où au moins l’un des membres parlait croate couramment et faisait office d’interprète pour le reste du groupe. Beaucoup s’en sont plaints, principalement ceux n’avaient pas pris la peine d’apprendre le croate. Effectivement, mis hors de leur zone de confort, un grand nombre n’ont pas fait l’effort de s’intégrer et ont entretenu un état esprit permanent de plainte vis à vis de l’université, de la ville et parfois même du pays. Souvent, Ils sont restés en petits groupes sans nécessaires affinités mais soudés malgré eux par un esprit grégaire de critique malsaine. Au fil des années, comme avec tout système en rodage, des mesures se sont mises en place et le programme anglais a beaucoup évolué et s’est adapté à des standards de formations cliniques de qualité.
Avec l’apprentissage du croate, je me suis rapidement rendu compte que l’acquisition d’une langue étrangère était un atout considérable et l’idée m’est venue d’apprendre une langue scandinave en parallèle de la fin de mes études médicales pour ainsi renouer avec mes désirs de grand nord. Après avoir appris le norvégien, j’ai postulé en Norvège ou j’ai été accepté dans les centres les plus prestigieux pour compléter mon double cursus science/médecine avec un doctorat en neuroscience fondamentale avant d’attaquer ma spécialité dans le plus grand département de neurochirurgie de Scandinavie. Je tiens a préciser que quitter la Croatie n’a pas été chose facile après 6 années riches d’une vie étudiante rêvée, d’expériences humaines fortes, de voyages, d’apprentissage d’une culture nouvelle et de langues, de compétitions de sports a hauts niveaux et tellement plus encore.
D’autres collègues de Zagreb font maintenant leurs spécialités dans des hôpitaux renommés en Croatie, aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse, et même en France. Et ce n’est qu’un début car ce programme n’a que 10 ans et ces premières générations de diplômés sont pionnières dans toutes leurs démarches administratives nécessaires pour la suite de leurs formations de troisième cycle hors de la Croatie.
En fin de compte, ce parcours résumé en quelques paragraphes n’a qu’une seule intention: apporter le témoignage que l’on peut réussir son rêve de devenir médecin sans pour autant subir les affres d’un système français souvent trop rigide qui exclut chaque année nombre d’étudiants motivés et les prive à jamais de leur rêve de toujours. Comme il m’a semblé qu’il existait peu de témoignages semblables, j’ai eu à cœur de partager mon expérience.
J’espère avoir apporté la preuve qu’il existe donc une multitude de chemins pour accomplir sa vocation au-delà du cursus français traditionnel. Pour ceux qui se sont trouvés comme moi ostracisés un temps par système que je juge injuste, je veux dire que si l’on fait preuve d’une réelle détermination, d’un certain optimisme, et que l’on se donne sincèrement les moyens, les portes sont ouvertes. J’espère que cela inspirera quelques personnes à croire en leur vocation et s’il le faut à franchir le Rubicon, ou à défaut la mer Adriatique.
Bonne année à tous et bon courage pour la suite de vos études.