Posté le 20/08/2007 � 16:21 puis édité
1 fois 
Salut,
J'ai trouvé beaucoup de témoignages de personnes en début de cursus mais assez peu de témoignages de "dinos" médecins ou en fin d'internat ; le mien pourra (peut-être

en intéresser quelques uns.
Je suis rentré par la passerelle D1 en 1999 ... à une époque où il n'y avait qu'une dizaine de places sur toute la France. Initialement, j'ai fait une école d'ingénieur (Centrale Paris) puis un peu de recherche en biologie fondamentale (DEA puis début de thèse de science). Puis ai débuté mon externat à Necker.
Début d'externat très tranquille : les connaissances de P1-P2 vraiment nécessaires (un peu d'anat, un peu de physiologie et de la sémiologie) s'apprennent rapidement (décrire tous les rapports de la crosse aortique, on s'en fout assez rapidement ..., l'important, c'est de savoir lire un scanner

). Bref, l'absence de P1-P2 ne doit vraiment pas faire peur aux "dinos".
A partir de la D2, découverte de l'externat : matin à l'hôpital et après-midi parfois en cours et au final le plus souvent à la bibliothèque. On est vite déstabilisé par l'enseignement à l'hôpital (le soit-disant compagnonage) : les internes ont peu de temps pour nous apprendre des choses, les chefs de pic-niques encore moins. Quant aux Praticiens Hospitaliers et les professeurs, ils n'en ont franchement rien à faire (à de rares exceptions près bien entendu ...).
Pour comprendre cet état de fait, il faut faire une disgression : la prise en charge des patients au quotidien en CHU est réalisée en grande partie par les internes et les chefs de clinique, ce qui est paradoxal puisqu'ils sont les moins expérimentés. La mission des universitaires (nos maîtres de conférence et les professeurs, "l'élite" - ou perçue comme telle - du CHU ...) est triple : recherche, enseignement et soins aux patients. Et j'oublie la fonction de chef de service (ca fait quatre ...). Et c'est tout le problème : il est impossible de s'occuper en même temps de l'essai thérapeutique multicentrique d'une nouvelle molécule dans la sclérose en plaques, d'expliquer la médecine à l'externe au lit du patient et de prendre en charge le patient qui fait son choc septique (= infection gravissime qui vous tue un patient dans l'heure). Il faut donc choisir son camp : recherche, enseignement, pratique médicale ? La progression dans la hiérarchie du CHU se faisant quasi-uniquement par l'acquisition des titres et travaux (ie la recherche médicale), votre camp est désigné d'avance si vous voulez progesser dans cette hiérarchie. Bref, exit l'enseignement (d'où des cours souvent médiocres de la part des professeurs, voire une absence de cours ...), exit les soins (délégués aux internes et aux chefs de clinique). Exit même la moindre réflexion poussée sur l'organisation du service et de l'hôpital : de toute façon, vu que les professeurs délèguent les soins, ils ignorent comment fonctionne leur unité d'hospitalisation (la légende raconte qu'un chef de service de Necker mettant par hasard les pieds dans son service s'est fait dire par l'une de ses aides-soignantes qu'il ne pouvait pas rentrer car les visites des familles ne se faisaient que l'après-midi

). Bref, on comprend très bien pourquoi l'enseignement est merdique, les soins délégués aux internes et chefs de clinique et l'organisation des services totalement bordelique.
Revenons à mon modeste parcours : en D3-D4 arrive la préparation au concours de l'internat. Et c'est aussi l'heure du bachotage : conférences le soir (système privé de cours faits entre 19h et 23h par des internes ou des chefs de clinique, et qui se subsitue à l'enseignement défaillant de nos facultés : c'est souvent bien fait et ça prépare bien au concours de l'internat). Période difficile à vivre quand on est "dino" car apprendre par coeur un cours est un exercice que l'on fait docilement à 18 ans, en contestant à 25 ans, et qu'on ne veut plus faire à 30 ans. Vous faites des cas cliniques à tout bout de champ, vous vous tapez des "zéros au dossier" sans arrêt. En y repensant, c'est comme ça que j'ai acquis mes réflexes de médecin et j'en garde un bon souvenir. Inutile pendant ces deux années de penser à avoir une vie de famille équilibrée ou à travailler à côté pour financer ses études ; ou alors vous renoncez à être compétitif pour le concours (l'ENC comme il s'appelle maintenant) et donc vous renoncez à pouvoir - éventuellement - choisir votre spécialité.
Au final, l'externat, c'est du bachotage dans les livres, des cours en faculté assez médiocres et la découverte de l'univers de l'hôpital : vous faites de observations médicales que personne ne lit et vous rangez manuellement des feuilles de papier sur lesquels sont écrits les résultats des analyses de sang des patients parce que l'hôpital n'a pas su automatiser cette tâche (imaginez une banque qui fonctionnerait comme ça, vous la quitteriez tout de suite ... :mad

.
Mais c'est aussi la formidable possibilité de comparer vos cours théoriques à la pratique quotidienne, de comprendre concrètement ce qu'est un lymphome, de voir en pratique comment on prend en charge un infarctus ou un arrêt cardiaque, et d'examiner des patients. Et cette double approche théorie / pratique est d'une richesse infinie.
Pendant cette période, vous êtes très peu payé ... Avant de râler, n'oublions pas que dans bien des universités étrangères, il faut payer 8000 dollars / an pour faire son externat ...
Arrive l'internat : enfin vous allez prescrire ! Personnellement, j'ai choisi de quitter Paris et de faire de l'hématologie (leucémies et lymphomes grosso modo) et de la cancérologie (un peu) à Nantes. Il y a encore 6 mois, vous rangiez vos examens complémentaires, une tâche que vous auriez pu faire en primaire. Maintenant, vous devez prendre en charge totalement vos patients et - dans bien des services - vous êtes seul tant sur le plan médical que relationnel avec les patients : vous devez gérer seul l'infarctus en service de dermatologie et affronter les questions du patient atteint d'un cancer métastatique à qui l'on n'a jamais expliqué (ou qui n'arrive pas à accepter) qu'il ne guérira jamais et que les mois sont comptés.
Vos chefs de clinique vous donnent leur avis (de qualité le plus souvent) dans leur propre spécialité ...mais quand le problème ne relève pas de la spécialité du service vous êtes bien seul ... et vous êtes souvent meilleur que votre chef de clinique. Bref, il vous faut demander des avis, aller négocier les scanners ... et c'est un cauchemar. En effet, l'hôpital (surtout le CHU) est un milieu très hiérarchique : un chef de clinique, un PH peut tout à fait envoyer ballader un interne sans avoir à se justifier (le contraire n'étant bien évidemment pas possible). Bref, tout dépend de la bonne volonté de l'interlocuteur : et s'il est mal luné, il ne vous aidera pas. Et si vous vous souvenez de l'une de mes nombreuses disgressions dans cet insupportable monologue, vous vous souvenez que votre interlocuteur n'a aucun intérêt à vous aider (ça ne lui apporte pas de publication ...). Bref, tout dépend de son humeur et de sa morale personnelle. Vous apprendrez vite à savoir qui se donne la peine de vous répondre et qui vous envoie balader. Le drame dans tout ça, c'est que tout l'hôpital aussi si bien que les personnes de bonne volonté (il y en a aussi à l'hôpital) sont très vite saturées par les demandes : c'est l'effet "bonne poire". Et c'est ce qui fait tomber des médecins "gentils" "du mauvais côté de la force". Tandis que les personnes "moins aidantes" ne reçoivent quasiment pas de demande d'avis (puisqu'elles envoient balader les gens, on ne leur demande plus rien). Si l'on analyse de façon cynique cette comédie humaine, on se dit que le médecin "salaud" a bien raison : tout le monde le laisse tranquille et ça lui donne du temps pour publier, devenir professeur et prendre le pouvoir ...
Le point positif dans toute cette histoire, c'est que vous avez une vraie responsabilité et que vous êtes en contact direct avec les patients : c'est gratifiant.
Vous avancez dans l'internat et vous apprenez ... Concernant l'enseignement, il reste inexistant de la part de vos "maîtres" comme on les appelle. Vous vous rendez compte que l'internat, c'est comme l'externat : pour éviter de devenir un bricoleur de la médecine, faut travailler dans les bouquins par soi-même (ou plutôt lire des publications quand on est interne) ... c'est à dire en dehors de l'hôpital. Pas si facile quand on passe déjà le plus clair de son temps à l'hôpital.
Puis arrive le moment où vous êtes en mesure de donner des avis. Ca aussi c'est gratifiant. En plus, vous avez fait de la médecine pour soigner et "promis, je serai jamais comme ces chefs qui nous envoient balader". Vous prenez donc le parti d'être un "gentil" ... tout le monde vous sollicite parce que vous n'envoyez pas ballader les gens et qu'en plus vous vous déplacez dans les autres services pour examiner les patients. Vous êtes saturés, et parfois "y'a vraiment des questions connes". Vous auriez presque envie d'en envoyer balader certains tellement c'est con ... Attention, on tombe facilement sans même s'en rendre compte "du mauvais côté de la force".
Vous découvrirez aussi les "périphériques" pendant l'internat : les hôpitaux non CHU souvent départementaux. L'ambiance y est totalement différente des CHU. On y fait pas ou peu de recherche clinique, et les médecins vont davantage au charbon vis à vis des patients : l'ambiance y est souvent meilleure. Le mauvais côté des choses, c'est que l'on ne leur donne pas toujours les moyens de travailler ... En CHU, certains médecins auraient tué père et mère pour devenir professeur et chef de service ; en périph', c'est une corvée, c'est une activité supplémentaire à faire en plus de l'activité de soins (et ne comptez pas sur le directeur de l'hôpital pour alléger la charge de soins sous prétexte qu'un médecin dirige un service ...). Comment faire pour hospitaliser 4 patients alors qu'il n'y a qu'une chambre de disponible ?
On y trouve des médecins dévoués à leur travail, des médecins consciencieux et des médecins qui - ayant la sécurité de l'emploi - sont de vrais fainéants ... Le monde parfait n'existe pas, y compris en médecine.
Je me prépare à faire un clinicat d'hématologie.
Les jours où l'on n'est pas heureux, on dit plein de vérités du genre : "les rapports médecin - patient ont bien changé, les patients sont de vrais consommateurs et vous engueulent alors même que vous coupez en 4 pour les soigner, que vous passez certaines nuits de garde sans dormir pour des gens qui pensent que la santé est un dû". En cancérologie notamment, le désespoir de certains patients se transforme parfois en agressivité. Ils vous reprochent pleins de choses auxquelles vous ne pouvez rien : les délais d'attente, l'indisponibilité de vos chefs etc ... Et je ne vous parle pas de la hantise de "l'erreur médicale" qui peut paralyser ... (et qui paralyse certains médecins d'ailleurs ... : comme dit l'adage, les seules personnes qui ne font pas d'erreur sont celles qui ... ).
Autre point négatif, notre "bon" vieux système de santé se meurt et vu le déficit de la sécu, ça ne va pas durer éternellement vu que ça dure déjà depuis longtemps ... Et comme le système de santé est incapable de se réformer lui-même, faut qu'on se prépare à des lendemains qui déchantent (tant pour les patients qui devront payer plein pot d'ailleurs que pour les médecins).
Nos dirigeants ayant été échaudés par la triste affaire de la canicule ont nettement augmenté le numerus clausus et l'entrée directe en P1. Le seul problème, c'est qu'ils n'ont pas augmenté en proportion les postes de chefs de clinique ni les postes de PH. Ca peut paraître lointain quand on est externe mais pour des spécialités comme la chirurgie ou la gynécologie-obstétrique, ça devient vite problématique : en sortant de l'internat, un obstétricien n'a pas encore les compétences chirurgicales suffisantes pour opérer en solo : il lui faut au moins un clinicat ... Et pour parler de la situation Nantaise, il y a beaucoup plus d'internes que de postes de chefs de pic-nique. Les internes de gynéco-obstétrique qui n'ont pas leur poste vont donc se diriger vers la gynécologie médicale et la crise des obstétriciens va donc perdurer ...
Enfin, notre "bon" vieux CHU se meurt aussi : incapable de se réformer lui non plus avec des conditions de travail en constante dégradation, les personnes qui sont aux commandes (si tenté qu'elles existent vraiment) ont totalement perdu le contact avec la réalité du terrain ... que va-t-il devenir cette institution devenue totalement inorganisée ?
Enfin, point que je regrette probablement le plus, une fois installé en libéral ou nommé praticien hospitalier, votre carrière n'évolue plus et votre métier pas d'avantage. Vous soignez des patients jour après jour jusqu'à votre retraite tel un ouvrier dans une usine sans bien souvent avoir la possibilité de développer des projets et de construire quelque chose. Le milieu médical a toujours considéré qu'un médecin, c'était fait pour soigner un point c'est tout. Et il est extrêmement difficile de développer un projet original sans l'appui de la direction de l'hôpital ou de votre chef de service. D'ailleurs, vous ne pouvez plus penser à ce projet vu qu'il y a 10 patients qui attendent dans la salle d'attente et qu'il faut vous dépêcher ...
Les jours où l'on est heureux, on se dit "qu'on sauve des vies" et que c'est formidable. Et quand on ne sauve pas les patients, on essaie de les accompagner vers le décès dans la dignité et ça reste un beau métier quand même. Quand, de temps à autre, un patient ou une famille vous remercient, c'est la vraie bouffée d'air frais et c'est gratifiant.
Au total, quand on additionne "les + et les -", je me dis qu'on fait un métier qui tente de faire avancer notre petite humanité dans le bon sens et c'est déjà pas si mal.
Voudrais-je faire cela jusqu'à ma retraite ? Vu l'état d'épuisement et d'aigreur de certains médecins qui arrivent à la retraite, ça ne donne pas très envie ... Et puis peut-être aurais-je envie de mener à bien des projets, de construire des choses concrètes, ce que le métier de médecin en lui-même ne permet pas ...
Le métier parfait n'existe pas ...;)